Défaillance technique à Wijk aan Zee

Cliquez pour agrandir l'image lundi 28 janvier 2013

Chaque début d'année, le tournoi de Wijk aan Zee, petite bourgade des Pays-Bas en bordure de la mer du nord, oppose quelques uns des meilleurs joueurs du monde. Pour l'amateur qui peut suivre les parties sur la toile, ce rendez-vous traditionnel est un régal. J'aurais pu commenter la fantastique victoire du champion du monde Vishy Anand contre Levon Aronian mais vous trouverez très certainement de nombreuses analyses dans tous les bons magazines. Je me suis plutôt intéressé à deux fins de parties riches d'enseignement sur le plan pratique car elles illustrent comment un gain qui semble acquis depuis de nombreux coups peut s'échapper à la suite d'un jeu hésitant ou d'une mauvaise évaluation des simplifications.

Nous avons tous, au cours de notre pratique, fustigé notre manque de technique pour conclure victorieusement une position supérieure, voire écrasante. Les meilleurs joueurs sont aussi victime de ce syndrome. Bien sûr, ils doivent affronter une opposition qui leur pose de difficiles problèmes à résoudre. Leurs adversaires ne s'effondrent pas à la première menace apparaissant sur l'échiquier. Ils serrent le jeu, prolongent la partie, tendent des pièges. La stabilité psychologique en défense est une grande qualité qui permet de ne pas perdre son sang-froid devant des positions a priori désespérées. Cette qualité pourtant essentielle n'est que rarement mise en valeur au dépend des qualités créatives de l'attaquant. Il est vrai qu'une partie compromise ne peut être sauvée que par la maladresse de l'adversaire. Mais ce sauvetage n'est pas toujours du au simple hasard. L'opiniâtreté en défense est particulièrement fructueuse en terme de points comptabilisés en fin de tournoi.

Beaucoup de parties entre amateurs ne sont pas conclues victorieusement par manque de technique. C'est aussi ce que l'on pourrait penser des deux extraits de parties que j'ai choisis de commenter dans ce billet si les deux coupables n'étaient Ivan Sokolov, Grand-Maître expérimenté côtoyant l'élite mondiale depuis de nombreuses années (16ème joueur mondial en 2004) et surtout Vishy Anand, champion du monde en titre, qu'il n'est plus nécessaire de présenter. A haut niveau, d'autres facteurs que le manque de technique entrent en ligne de compte tels que la combativité de l'adversaire en défense, l'absence de concentration à un moment critique, le manque de temps de réflexion ou tout simplement la fatigue qui s'accumule après plusieurs heures de jeu.

Assistant à la fin de partie entre l'américain Hikaru Nakamura et Ivan Sokolov sur le site du tournoi, j'ai eu en clairement l'impression que les noirs laissaient petit à petit le gain leur échapper.



Commentant ce résultat inespéré, Hikaru Nakamura critiqua le jeu de son adversaire dans cette finale : "Ivan a joué un paquet de coups logiques et corrects et puis, un peu après le contrôle de temps, il s'est engagé dans cette idée folle avec Roi f5-g4 (...), il y a une foule de plans qui gagnent et il a joué le seul ou j'avais des chances de nulle".

La réaction de Sokolov, interrogé par l'intervieweuse attitrée du tournoi, fût aussi brève que cinglante : "J'étais totalement gagnant. Si je ne me suicide pas ce soir, je vivrai encore des milliers d'années". Ces quelques mots en disent long sur son dépit au demeurant fort compréhensible et bien connu de tous les amateurs qui, plus souvent qu'à leur tour, ont laissés passer leur chance.

Je me permets à ce stade une petite digression : ne vous-êtes vous pas demandé au cours de cette finale, si les blancs pouvaient annuler en l'absence de leur pion de plus sur la colonne e ?

Les finales Tour contre Fou avec des pions situés en vis-à-vis sur les colonnes a ou h posent de réelles difficultés techniques. Il est de notoriété publique que lorsque le pion est sur la même couleur que le Fou, les chances de gain du camp possédant la Tour sont grandes. Ici, le pion du camp attaquant ayant franchi le milieu de l'échiquier, les chances de gain sont accrues. Mark Dvoretsky dans son excellent ouvrage "Endgame Manual" a choisi la fin d'une étude composée en 1949 par Enevoldsen pour illustrer la méthode de gain dans ce type de finale. Je vous livre un extrait de cette analyse :



On peut donc conclure que sans le pion e et le Roi blanc déjà coupé sur la colonne f, Sokolov aurait facilement gagné (avec toutefois un minimum de technique et un état de forme qui lui a cruellement fait défaut dans ce tournoi).

Le second exemple de gain évaporé concerne Vishy Anand qui avait besoin d'une fin de tournoi exceptionnelle pour rester dans la roue de Magnus Carlsen. Opposé à Hou Yifan, la très jeune et pourtant déjà ex-championne du monde, il a très mal évalué la transition en finale de Roi et pions.



Les transitions en finale de Roi et pions doivent toujours être décidées avec beaucoup de circonspection car le point de non retour est franchi. De nombreuses parties gagnantes ont ainsi été annulées ou même perdues pour avoir oublié un simple tempo ou mal évalué une prise d'opposition.

La photographie d'Ivan Sokolov qui illustre ce billet est l'oeuvre de Frans Peeters.
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